SARRAT DE BALAGUE
Mardi 28 octobre 2025
Le Sarrat de Balagué en Ariège, 1014m
Dénivelé + cumulé 490m / 9km en boucle
Température d'automne, frisquette le matin mais plein soleil et grande douceur ensuite dans la petite vallée ariégeoise de Balaguères (l'une des quatre vallées du Castillonnais avec celles du Biros, de Bethmale et de la Bellongue), une commune qui regroupe trois villages, Balagué, Agert et Alas, rattachés autrefois à la seigneurie d’Aspet. 197 habitants en 2021, 1390 à la Révolution... Au menu, Le Sarrat de Balagué, une randonnée essentiellement en flanc sud et crête, recommandée en cette saison ou en hiver.
9h55 : départ du village de Balagué, 655m. Une grimpette assez vive permet de s’élever rapidement d’une centaine de mètres avant de prendre le flanc sur la gauche, en balcon sur les sommets ariégeois. Ici et là une grange et des buis, jusqu’aux granges de Pla, 980m, un beau hameau d’estive rénové. Un court raidillon et voici le belvédère du Sarrat de Balagué, une crête où s’étire un autre hameau d’estives, 1014m. Ces granges d'altitude, où l’on stockait le foin destiné au bétail pendant la période hivernale, étaient bâties par commodité près des prairies de fauche et non au village, d’où le qualificatif de granges foraines, du latin foras/ à l’extérieur. Le foin était entreposé au grenier, le rez-de-chaussée occupé par les animaux que l’on venait abreuver et nourrir en laissant tomber du foin par une trappe au dessus des râteliers. Arrivée donc vers 11h30 au Sarrat, 1014m.
A gauche, un tuquet herbeux fait l’unanimité : en haut de ces prés, à une demi-heure de marche, se dressent quelques granges et la vue, déjà belle au Sarrat, y sera encore plus large ! La sente se faufile d'abord dans un passage un peu broussailleux, on le sait : sécateurs prévus. Mais les ronces ont pris de l'ampleur, il est impossible de dégager un passage ! Il ne reste plus qu'à aller arpenter un peu la crête avant de pique-niquer, Crabère, Calabasse, Maubermé, Mont Valier sur le bleu du ciel au dessus de la vallée de Balaguères...
Descente en boucle à 13h20, en rejoignant au nord une piste qui va remonter en douceur à l'est dans le bois des Piches pour mener au hameau du Tech, avant de la quitter pour suivre une sente abrupte et caillouteuse qui plonge vivement au sud sur le village en n’offrant qu’un seul petit replat, là où se dresse la petite Croix du Seignadé. Le "Seignadé" ? Du sang a dû couler ici autrefois... Retour à Balagué à 15h15 et en route pour le pot à Saint-Girons.
Au bout du village, près de l’église, se dresse la maison où furent tournées en 1982 certaines scènes du film "Le retour de Martin Guerre". Assez délabrée… La vallée bourdonnait autrefois de vie : ruelles, balcons de bois, torchis et colombages, vieux fours à pain au premier étage en saillie sur la rue. Pour les besoins du film, ce fut sans doute la première commune d’Ariège à posséder un réseau électrique souterrain ! Les habitants se souviennent du tournage : on vous dira que, si Nathalie Baye appréciait peu de voir ses mains souillées de terre, Gérard Depardieu buvait volontiers un canon cul sec avec les villageois !
Ce film retrace une étrange affaire d’usurpation d’identité, qui s’est déroulée au XVI° siècle au village d’Artigat, entre Saint-Girons et Pamiers. En 1548, après un litige, un certain Martin Guerre avait abandonné village, famille et épouse. En 1556, le voilà de retour : il a changé certes, mais il clame son identité, livre des détails sur sa vie passée ; il convainc son épouse Bertrande et la plupart des villageois qu'il est bien Martin Guerre ; quelques doutes subsistent, notamment dans la famille qui ne voit pas d’un bon œil rappliquer un héritier et se profiler un partage… Il vit depuis trois ans avec Bertrande et son fils, quand surgit soudain un autre homme qui affirme aussi être Martin Guerre… Et il s'avère que celui-là est le vrai : un procès se déroule donc en 1560 à Rieux Volvestre, où furent tournées d’autres scènes du film, puis à Toulouse : un nommé Arnaud du Tilh[] a bien usurpé l’identité de Martin Guerre, et Bertrande a sans doute pris part à la tromperie, car un mari lui permettait d’échapper à la tutelle de la famille… Et le faux Martin, incarné à l’écran par Depardieu, était plutôt beau gosse avec trente ans et cinquante kilos en moins, ce qui peut aussi expliquer l'attitude de sa prétendue épouse… L’usurpateur, passé aux aveux, fut []pendu et brûlé.
Cette vallée paisible participa activement en 1829 à la « Guerre des Demoiselles » : des bandes de paysans armés de faux, bâtons, haches et quelques pétoires, le visage noirci, une peau de mouton ou un tissu sur la tête pour ne pas être reconnus, de bien rustiques demoiselles donc, tendent la nuit des embuscades aux gardes, gendarmes et charbonniers qui patrouillent pour les empêcher de jouir librement des forêts : le nouveau code forestier de 1827 limite en effet ramassage du bois, coupes, droit de pâture, chasse, pêche et cueillette[]. La révolte embrase vite le Castillonnais, gagne tout le sud de l’Ariège et s’étend jusqu’à Aspet et Saint Béat : les Demoiselles font la loi dans les campagnes ! Si bien qu’en 1831, une ordonnance supprime pour l’Ariège toutes les dispositions qui avaient enflammé la région, une amnistie générale est signée, les condamnés libérés, les poursuites judiciaires stoppées. Mais durant une trentaine d’années encore, quelques irréductibles Demoiselles vont lancer des attaques ici et là, les Ariégeois ayant le sang chaud et le cœur rétif à toute autorité… Cette révolte paysanne ne fit en fait que deux morts, une Demoiselle et un garde forestier.
Imohtep, le scribe des mardis de L'ACCUEIL